B. Kapossy u.a. (Hrsg.): Edward Gibbon et Lausanne

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Titel
Edward Gibbon et Lausanne. Le Pays de Vaud à la rencontre des Lumières européennes


Erschienen
Gollion 2022: Infolio
Anzahl Seiten
527 S.
von
Olivier Meuwly

La vie et l’oeuvre du grand historien anglais Edward Gibbon (1737–1793) sont bien connues. Sur sa vie à Lausanne, sur ses liens avec son pays d’accueil, sur l’influence que ce dernier a pu exercer sur son travail, bien des zones d’ombres subsistaient néanmoins et attendaient d’être éclaircies. C’est à ce travail titanesque que l’équipe réunie par Béla Kapossy et Béatrice Lovis s’est attelée dans le cadre du projet Gibbon et Lausanne initié à l’Université de Lausanne. Le fort ouvrage recensé ici en représente la synthèse. Cette vaste recherche a également été élargie par ses liens avec la plateforme Lumières à Lausanne et a surtout pu compter sur une exploitation plus systématique que cela n’avait été le cas jusqu’à présent des archives de la famille de Charrière de Sévery, dont le classement aux Archives cantonales vaudoises, complexe, s’est étendu sur plusieurs années.

Cette étude de Gibbon à Lausanne renouvèle l’image de l’auteur anglais, mais pas seulement. Elle nous propulse en effet au coeur des Lumières vaudoises auxquelles de nombreux travaux ont déjà rendu hommage ces dernières années, dont ceux consacrés à l’Encyclopédie d’Yverdon. Bien que sous tutelle bernoise, le Pays de Vaud et Lausanne font figure de centre intellectuel particulièrement dynamique. L’analyse de la vie de Gibbon proposée par la pléiade de spécialistes suisses ou anglo-saxons réunis pour cet ouvrage – qui plus est richement illustré – constitue dès lors une contribution majeure et brillante à la connaissance de ces Lumières vaudoises et de leur place au sein du vaste réseau des Lumières européennes, ainsi que le suggère le sous-titre du livre. Et cette place, que Gibbon a aidé à façonner mais que Voltaire honore aussi par ses séjours dans la capitale vaudoise, n’est pas mineure.

Ce n’est pas l’amour du Léman qui attire le futur auteur de l’History of the Decline and Fall of the Roman Empire. Du moins pas au début. Horrifié par la conversion de son fils au catholicisme, Edward Gibbon senior envoie son fils chez un pasteur lausannois de ses connaissances. Il y séjourne de 1753 à 1758, s’inscrit à l’Académie de Lausanne, se lie d’amitié avec Georges Deyverdun, rencontre la jeune Suzanne Curchod et noue une idylle avec elle, qui ne débouchera sur rien. Faute d’épousailles avec un futur grand historien, elle se mariera avec un banquier genevois d’origine prussienne, Jacques Necker, avant de mettre au monde Germaine, épouse de Staël… De son côté, Edward regagne sa mère patrie sans en avoir terminé avec Lausanne. Il y séjourne une deuxième fois entre mai 1763 et avril 1764, alors qu’il est en route pour son grand périple en Italie, étape habituelle dans la formation de la jeunesse de la bonne société européenne.

C’est en historien confirmé et désormais célèbre que Gibbon revient définitivementà Lausanne en 1783, si l’on excepte un voyage en Angleterre entre 1787 et 1788. En 1776, la publication de son histoire de la fin de l’empire romain, suivie de deux autres volumes cinq ans plus tard, ont hissé son auteur au pinacle des grands littérateurs de son époque. Ce prestige ne lui épargne pas quelques ennuis financiers causés autant par des investissements malheureux que par son style de vie peu porté à l’économie et à l’épargne, comme l’ont relevé plusieurs des auteurs convoqués pour le magnifique ouvrage dirigé par Kapossy et Lovis. Le regard de Gibbon se tourne alors vers Lausanne, où le coût de la vie est notoirement plus bas qu’à Londres et où il compte des amis fidèles tels que Deyverdun, autrefois précepteur auprès de riches familles anglaises et traducteur de Goethe. De plus, l’activité culturelle lausannoise est connue pour son alacrité. La ville vaudoise apparaît ainsi comme une solution idéale et Gibbon cède volontiers à l’insistance de son ami, qui met à sa disposition sa résidence de la Grotte, située juste au sud l’Église de Saint-François, en plein coeur de la ville de Lausanne.

À la Grotte, dont il héritera à la mort de son ami en 1789, il mène grand train, cultive une vie mondaine active, s’intègre aux réseaux de sociabilité locaux et devient l’intime de Salomon et Catherine de Charrière de Sévery, dont il prend sous sa protection le fils Wilhelm (cousin de Benjamin Constant par leurs mères respectives). Entouré des sept mille livres que compte sa bibliothèque, il y termine son opus magnum, dont les volumes 4 à 6 seront publiés entre 1787 et 1788. Il s’embarque pour Londres en mai 1793 afin d’y rejoindre son ami Lord Sheffield qui venait de perdre son épouse. Souffrant depuis de nombreuses années de divers maux que son obésité aggravait, il y décède le 16 janvier 1794, des suites d’une opération chirurgicale. Il sera enterré outre-manche mais son souvenir demeurera très présent à Lausanne: le nom de Gibbon constituera, des années durant, un point d’attraction précieux pour le tourisme local qui prend peu à peu son envol au début du XIXe siècle.

Si l’ouvrage magistral dirigé par Béla Kapossy et Béatrice Lovis nous éclaire sur le parcours de Gibbon à Lausanne, il souligne aussi, par ricochet, de multiples aspects de la vie lausannoise durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les contributions retracent non seulement les sociabilités mondaines et culturelles au sein de la capitale vaudoise mais aussi, grâce à des documents innombrables, largement inédits ou redécouverts, de multiples aspects de la vie économique et de l’évolution urbanistique de la cité. Vitalité des arts et des sciences, vie religieuse si profonde en terre vaudoise, réalités associatives, culture salonnière et de la table sont scrutées avec minutie par les auteurs et autrices de cette somme de bout en bout passionnante. Ils nous offrent également l’occasion de rencontrer des figures centrales du microcosme lausannois, tels que les Sévery, Chandieu, Polier ou Crousaz, noyau d’élites locales qui s’accommodaient en définitive de la présence des baillis bernois et qui dépensaient leur énergie dans une vie sociale intense. Si Lausanne était une cité certes «bernoise», elle présentait toutefois, pour le plus grand plaisir de Gibbon d’ailleurs, un plus grand calme que Genève et sa vie politique si agitée.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Kapossy, Béla; Lovis, Béatrice (dir.): Edward Gibbon et Lausanne. Le Pays de Vaud à la rencontre des Lumières européennes, Gollion 2022. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(1), 2023, S. 63-65. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00120>.

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